(Publié le 6 Mai 2008)
Balzac, Le médecin de campagne,
1833. (Flammarion poche , 248p.)
Le commandant Genestas
se rend dans le Dauphiné pour rencontrer le docteur Benassis dont on lui a vanté
les qualités. Il l'accompagne dans sa tournée, et le médecin, également
maire de la commune, lui explique comment il a réussi à développer une vie
économique prospère.
Balzac, Le curé de village,
1845. (Flammarion poche, 255p.)
Véronique Sauviat, fille
unique d'un ferrailleur, et épouse du riche banquier Graslin, est une femme
respectée qui règne sur la ville de Limoges. Son salon est fréquenté par M. de
Grandville, Avocat général lors du procès de Tasheron, qui est accusé puis
condamné pour meurtre. Après la mort de Graslin, Véronique se retire à
Montégnac, le village de Tasheron. Sur les conseils de l'abbé Bonnet, elle se
consacre au développement économique de la commune.
Le curé étant le "pendant" du Médecin, ces deux scènes de la vie de campagne présentent des
personnages au parcours similaire. Benassis et Véronique commettent une faute
initiale et trouvent le salut dans le repentir et la dévotion jusqu'à
l'abnégation, l'épuisement physique, pour la réussite de leurs projets.
Ces deux
romans offrent un regard optimiste sur la nature humaine, mais ils
ont une vocation morale, revendiquée par Balzac.
La préface du Médecin précise
même que ce roman porte les ambitions politiques de Balzac, l'illustration d'un
"programme". Il transpose tout un système politique et économique à
l'échelle d'une petite communauté. Benassis/Balzac, partisan de la
philanthropie et du paternalisme, y expose ses idées catholique et
bonapartiste. À ce titre, la narration, très linéaire, a un caractère moins
romanesque, mais le propos reste captivant, en particulier si l'on
s'intéresse à l'histoire de cette période et à l'économie politique. La description de Benassis des trois âges commerciaux est intéressante, car si le contexte change, des structures et
certaines idées perdurent.
En revanche, l'histoire
de Benassis, racontée à la fin du roman, est très "balzacienne". Benassis, jeune étudiant en médecine, connaît tous les excès de la
vie parisienne. Des années après, ces fautes passées l'obligent à
renoncer à la femme qu'il aime. Extraits : "Nous sommes habitués à juger les autres d'après nous, et si nous les
absolvons complaisamment de nos défauts, nous les condamnons sévèrement de ne
pas avoir nos qualités".
"Quoique l'amour vrai soit toujours le même, il doit emprunter des
formes à nos idées, et se trouver ainsi constamment semblable et dissemblable à
lui-même en chaque être de qui la passion devient une oeuvre unique où
s'expriment ses sympathies. Aussi le philosophe, le poète, savent-ils seuls
cette définition de l'amour devenue vulgaire : un égoïsme à deux. Nous nous
aimons nous-même en l'autre."
Le Curé de village, se
rapproche davantage d'autres romans de la Comédie humaine. Véronique, une image
de la femme mal mariée, s'éprend d'un homme qui n'appartient pas au même
rang social. Ce personnage est très proche de celui d'Eugénie Grandet,
mais sa nature romanesque est très influencée par la lecture, notamment
par "Paul et Virginie". "Elle fut amenée par la douce et noble figure de l'auteur vers le culte
de l'idéal, cette fatale religion humaine !" Elle lit Walter Scott,
Goethe, Lord Byron ... "Toutes les livres lui peignaient l'amour, elle
cherchait une application à ses lecture, et n'apercevait de passion nulle part."
Ces thèmes sont encore très contemporains, semble-t-il...
Le Curé de village, roman plus sombre, est l'un des rares dans
la Comédie humaine à mettre en scène un procès, celui de Tasheron, l'amant de
Véronique. Leurs deux histoires sont différentes, et le parallèle avec Argow
s'arrête là ; mais Farrabeshe, l'ancien forçat repenti a quelques traits
d'Argow.
J'ai apprécié à nouveau
toute cette partie sur l'approche judiciaire : l'enquête, le rôle de la rumeur,
la représentation du crime et de la justice humaine, mise en parallèle avec
celle de Dieu.
La deuxième partie du
livre présente le repentir de Véronique, guidée par l'abbé Bonnet, et prend une
dimension politique qui se rapproche de celle du Médecin de campagne, tout en
restant plus romanesque.
Au parcours de
Benassis, fait échos celui de Gérard, polytechnicien et ingénieur, déçu par
l'organisation de sa la formation et l'organisation sa profession.
Les théories politiques
sont ici plus vivantes, car elles sont présentées sous forme d'échanges entre
plusieurs personnages qui ont des points de vue différents : Véronique, l'abbé,
le juge de paix, l'ingénieur et l'industriel.
Dans une
discussion, ils abordent des sujets aussi variés que la
justice, l'éducation, la montée de l'individualisme, l'organisation
de la société et les inégalités qui en résultent, etc. Là encore, deux
siècles de recul permettent au lecteur d'y porter un regard parfois amusé.
Le thème de la ville
criminogène développé dans les deux romans, n'est pas une invention de Balzac,
mais une réelle préoccupation des contemporains, dans les milieux
politique et juridique, liée à l'expansion urbaine et aux évolutions
économiques et sociales.
J'avais déjà lu Le curé
de village lorsque j'étais adolescente, car l'action se déroulait à
Limoges, où j'habitais alors. Le personnage de Véronique m'avait déjà
beaucoup touchée, et si vous préfériez choisir un seul de ces deux
romans, je vous recommanderais celui-ci. Une phrase de ce roman pour conclure cette longue présentation : "La pensée est constamment le point de départ et le point d'arrivée de
toute société."
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