lundi 30 juin 2014

Emile Gaboriau, La corde au cou

(Publié le 14 Mai 2009)
Emile Gaboriau, La corde au cou, éditions du masque, coll. labyrinthe, 2004, 670  (1ère parution, 1873)
Présentation de l'éditeur
Une nuit de juin 1871, le maire de Sauveterre en Saintonge est averti que le château de Valpinson est en feu et que son propriétaire, le, comte de Claudieuse, a été grièvement blessé... Un jeune paysan un peu simplet a cru reconnaître en l'agresseur du comte, Jacques de Boiscoran, un propriétaire voisin qui se retrouve bientôt en prison. La défense de l'inculpé s'organise et un jeune avocat parisien, Manuel Folgat, se persuade rapidement de l'innocence de l'accusé. Il découvre cependant le passé du jeune homme, uni par un lien secret avec la Comtesse de Claudieuse. Celle-ci ayant appris quelque temps plus tôt que Jacques venait de se fiancer avec la jolie Denise de Chandoret, a exigé de récupérer ses lettres d'amour. Un rendez-vous avait été fixé près de Valpinson, le soir du drame... Comme toujours chez Gaboriau, après la patiente et envoûtante recherche de la vérité, le drame se dénoue rapidement, libérant du même coup le lecteur des sortilèges d'un récit des plus noirs.

Roman policier, histoires de passion et d'amour, réflexions sur la justice, ce livre de plus 600 pages m'a semblé très court !
Le style d'Emile Gaboriau a évolué depuis Dossier 113 et L'affaire Lerouge.  Dans La corde au cou, dont le rythme est plus rapide, l'intrigue est essentiellement construite autour de scènes dialoguées, entrecoupées de courtes descriptions et de quelques explications sur le passé des personnages.

Mais là encore, aux crimes sensationnels, Emile Gaboriau préfère les drames familiaux. Comme dans ses romans précédents, le crime est l'occasion d'observer la société dans la sphère privée, où l'on découvre les secrets, les passions, les querelles personnelles et les antagonismes politiques.
Ce roman est plus judiciaire que policier. Gaboriau adopte rapidement le point de vue de l'inculpé mais il maintient le suspens, car si Jacques de Boiscoran est innocent, il reste à trouver le coupable, naturellement !
Ce roman nous montre les rouages de l'instruction, de la découverte du crime, au verdict des assises. J'ai eu l'occasion d'étudier l'histoire judiciaire, et les réflexions des personnages de Gaboriau sur la justice m'ont beaucoup intéressée. Or, les nombreuses interrogations soulevées par l'auteur dépassent le cadre d'une époque. Emile Gaboriau aborde le pouvoir du juge d'instruction, le rôle des preuves, en particulier celui des témoignages et de l'expertise médicale, l'importance des rumeurs et de l'opinion publique dans les accusations et les verdicts. "L'opinion s'impose à tous et, quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, elle poursuit les jurés jusque dans la salle de leurs délibérations..."dit maître Folgat. Gaboriau insiste beaucoup sur les droits de la défense, l'un des propos essentiels de ce roman.  On ne suit pas d'enquêteur, mais un jeune avocat parisien reste proche de ce rôle.
Emile Gaboriau pointe également du doigt la faillibilité des magistrats, qui font des verdicts une "question personnelle", selon l'auteur, un échec ou une victoire pour leur carrière.
Gaboriau dresse le portrait d''un juge d'instruction ambitieux. Se fiant aux évidences, Daveline se persuade rapidement de la culpabilité de Jacques qui est pourtant son ami. Si Jacques est innocent, la négligence du juge apparaît au grand jour. Angoissé à cette idée, Daveline instruit à charge pour protéger sa carrière. "Vainement il objectait qu'il n'avait fait que son devoir. On lui répondait, si même on daignait lui répondre, qu'il est de ces maladresses éclatantes, de ces erreurs scandaleuses qu'un magistrat ne doit pas commettre, et que, pour la gloire de la justice et dans l'intérêt de la magistrature si violemment attaquée, mieux vaut, en certaines circonstances, laisser un coupable impuni qu'emprisonner un innocent". Je vous laisse y réfléchir...
Ce juge est un peu caricatural, sans doute, comme les autres personnages du roman, mais Gaboriau peut ainsi jouer sur l'affrontement des personnalités dans des scènes très théâtrales qui permettent des effets comiques. Ainsi, au début du roman, le médecin et le juge se disputent la priorité pour parler au Comte de Claudieuse. L'interrogatoire se déroule sur fond de querelle, alors que le médecin pratique une opération sur une victime consciente !
Emile Gaboriau a également eu la bonne idée de présenter le procès à travers l'article du journal local. Le lecteur suit le jeu des questions/réponses entre le président de la cour, l'accusé et les témoins, ainsi qu'un extrait des plaidoiries et des réquisitions. Il n'a sans doute pas été difficile pour Gaboriau, chroniqueur judiciaire, de rédiger cette partie. Il lui donne un rythme rapide, très prenant et réaliste.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire