lundi 30 juin 2014

Paul Bowles, Un thé au Sahara

(Publié le 20 Mars 2009)
Paul Bowles, Un thé au Sahara, Gallimard, Les imaginaires, 2007, 324p. (1ère édition, 1949)
Le roman et le film de Bertolucci
Présentation de l'éditeur
Un couple d'Américains, en compagnie de leur ami Tunner, parcourt l'Afrique du Nord, de la côte au Sahara. Les Moresly, bien que mariés depuis onze ans, sont loin de s'entendre. Au cours du voyage, Kit a une brève aventure avec Tunner ; mais cette femme tourmentée n'en retire qu'un complexe de culpabilité. Port, sur ces entrefaites, meurt de la fièvre typhoïde. Kit se sent responsable de cette mort. Elle fuit devant son passé. Une caravane l'emporte vers Dakar où, saisie d'une espère de délire sensuel, elle découvre l'amour charnel. Mais peu à peu, elle sombre dans la folie...

Le début du roman est assez troublant. J'ai suivi le personnage de Port dans les rues de Tanger, sans comprendre où l'auteur voulait emmener son lecteur. Mais Paul Bowles l'incite habilement à entrer entièrement dans son histoire, à adopter son rythme, celui de ses personnages.
Le roman est construit en trois parties, autour de trois personnages, Kit, Port et Tunner. L'histoire en elle-même peut se résumer en quelques lignes, mais tout l'intérêt du roman réside dans les portraits et les évolutions des personnages. Paul Bowles, qui s'inspire ici en partie de sa vie, évoque l'amour et le couple; le voyage dans le désert apparaît alors comme une métaphore.
Kit et Port ne savent plus s'aimer, ni vivre ensemble. Ils m'ont rappelé certains personnages de Fitzgerald. Certes, le contexte est différent ; dans l'immédiat après-guerre, les désillusions sont autres,  mais ce couple de voyageur, fortuné et oisif, porte sur le monde un regard tantôt ébahi, tantôt désabusé. Kit et Port donnent le sentiment d'être perdus dans ce monde bouleversé par la guerre, et perdus dans leur propre vie. "Comme ils n'avaient jamais, à aucun point de vue, mené une vie régulière, ils avaient tous les deux commis l'erreur fatale d'en arriver, sans le savoir, à ne pas tenir compte du temps. Une année ressemblait à une autre. Ils s'attendaient à tout."
Port donne un but à son voyage mais garde la liberté de s'en éloigner ; ses réflexions se concentrent davantage sur sa vie que sur son couple. Il pense... "le train qui allait toujours plus vite n'était que le symbole de la vie même. Balancer entre le "oui" et le "non" était l'attitude inévitable de celui qui veut peser la valeur de la vie, l'hésitation s'interprétant d'elle-même comme le refus inconscient d'y participer."
Kit a réglé ce problème du choix en s'en remettant aux autres, à Port bien sûr, mais également aux signes, au destin. Avant ce voyage, elle est déjà plus fragilisée. De son couple, elle pense ... "tout en ayant si souvent les mêmes réactions, les mêmes sentiments, ils n'atteignaient jamais les mêmes conclusions, parce qu'ils poursuivaient dans l'existence des fins diamétralement opposées."
Ces deux personnages sont parfois agaçants mais leurs attitudes et leurs réflexions, presque puériles, les rendent attachants ; et il faut garder à l'esprit que Bowles a écrit ce roman en 1949, une époque où la notion de couple n'était pas disséquée comme elle peut l'être aujourd'hui.
Enfin, une quantité de références culturelles, africaines, européennes, américaines, plongent le lecteur dans un univers assez étrange, dominé par le voyage et le rêve, mais qui est régulièrement, et parfois brutalement, marqué par des rappels à la réalité, la pauvreté, la maladie, la violence. Port et Kit ne se montrent pas méprisants, mais l'auteur souligne la particularité de leur mode de vie. D'ailleurs, Paul Bowles, lui-même voyageur, donne sa définition du voyage par la pensée de Port : " Une autre différence notable entre le touriste et le voyageur réside dans le fait que le premier accepte sa propre civilisation sans objection, alors que le voyageur, lui, la compare avec les autres et en rejette les éléments qu'il désapprouve."

Le film...
Bertolucci reprend les deux premières parties du livre en changeant quelques détails, ce qu'il explique dans la version commentée. En revanche, la troisième partie, qui retrace la solitude de Kit, sa "folie", est moins brutale dans le film, comme c'est souvent le cas. Bertolucci  précise que ce dernier acte est proche du rêve ; dans le livre, il s'apparente davantage à un cauchemar, mais je préfère ne rien dévoiler de plus.
J'avais vu ce film et j'ai pris un grand plaisir à le voir à nouveau, après avoir lu le livre, car je cernais mieux les personnages. Les décors naturels et les lumières sont splendides. La réalisation et les plans du désert sont particulièrement soignés. Debra Winger et John Malkovich sont excellents.
Bertolucci rend bien l'esprit du roman de Bowles, et l'auteur lui-même, en client d'un café, présente ses personnages.
Ce roman m'a captivée et j'ai aimé l'interprétation de Bertolucci, qui réduit l'aspect littéraire, l'introspection des personnages, mais le symbolise par une esthétique envoûtante.

Merci beaucoup à Flo pour cette découverte !

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