(Publié le 20 Mars
2009)
Paul Bowles, Un thé
au Sahara, Gallimard, Les imaginaires, 2007, 324p. (1ère édition,
1949)
Le roman et le film de
Bertolucci
Présentation de l'éditeur
Un couple d'Américains,
en compagnie de leur ami Tunner, parcourt l'Afrique du Nord, de la côte au
Sahara. Les Moresly, bien que mariés depuis onze ans, sont loin de s'entendre.
Au cours du voyage, Kit a une brève aventure avec Tunner ; mais cette femme
tourmentée n'en retire qu'un complexe de culpabilité. Port, sur ces
entrefaites, meurt de la fièvre typhoïde. Kit se sent responsable de cette
mort. Elle fuit devant son passé. Une caravane l'emporte vers Dakar où, saisie
d'une espère de délire sensuel, elle découvre l'amour charnel. Mais peu à peu,
elle sombre dans la folie...
Le début du roman est
assez troublant. J'ai suivi le personnage de Port dans les rues de Tanger,
sans comprendre où l'auteur voulait emmener son lecteur. Mais
Paul Bowles l'incite habilement à entrer entièrement dans son histoire, à
adopter son rythme, celui de ses personnages.
Le roman est construit en
trois parties, autour de trois personnages, Kit, Port et
Tunner. L'histoire en elle-même peut se résumer en quelques lignes,
mais tout l'intérêt du roman réside dans les portraits et les évolutions
des personnages. Paul Bowles, qui s'inspire ici en partie de sa vie, évoque
l'amour et le couple; le voyage dans le désert apparaît alors comme une
métaphore.
Kit et Port ne savent
plus s'aimer, ni vivre ensemble. Ils m'ont rappelé certains
personnages de Fitzgerald. Certes, le contexte est différent ;
dans l'immédiat après-guerre, les désillusions sont
autres, mais ce couple de voyageur, fortuné et
oisif, porte sur le monde un regard tantôt ébahi, tantôt
désabusé. Kit et Port donnent le sentiment d'être perdus dans ce
monde bouleversé par la guerre, et perdus dans leur propre vie. "Comme ils n'avaient jamais, à aucun point de vue, mené
une vie régulière, ils avaient tous les deux commis l'erreur fatale d'en
arriver, sans le savoir, à ne pas tenir compte du temps. Une année ressemblait
à une autre. Ils s'attendaient à tout."
Port donne un but à son
voyage mais garde la liberté de s'en éloigner ; ses réflexions se concentrent
davantage sur sa vie que sur son couple. Il pense... "le train qui allait toujours plus vite n'était que le
symbole de la vie même. Balancer entre le "oui" et le "non"
était l'attitude inévitable de celui qui veut peser la valeur de la vie,
l'hésitation s'interprétant d'elle-même comme le refus inconscient d'y
participer."
Kit a réglé ce
problème du choix en s'en remettant aux autres, à Port bien sûr, mais également
aux signes, au destin. Avant ce voyage, elle est déjà plus fragilisée. De
son couple, elle pense ... "tout
en ayant si souvent les mêmes réactions, les mêmes sentiments, ils
n'atteignaient jamais les mêmes conclusions, parce qu'ils poursuivaient dans
l'existence des fins diamétralement opposées."
Ces deux personnages
sont parfois agaçants mais leurs attitudes et leurs réflexions, presque
puériles, les rendent attachants ; et il faut garder à l'esprit
que Bowles a écrit ce roman en 1949, une époque où la notion de couple
n'était pas disséquée comme elle peut l'être aujourd'hui.
Enfin, une quantité de
références culturelles, africaines, européennes,
américaines, plongent le lecteur dans un univers assez étrange, dominé par
le voyage et le rêve, mais qui est régulièrement, et parfois brutalement,
marqué par des rappels à la réalité, la pauvreté, la maladie, la violence. Port
et Kit ne se montrent pas méprisants, mais l'auteur souligne la
particularité de leur mode de vie. D'ailleurs, Paul Bowles, lui-même
voyageur, donne sa définition du voyage par la pensée de Port : " Une autre différence notable entre le touriste et
le voyageur réside dans le fait que le premier accepte sa propre civilisation
sans objection, alors que le voyageur, lui, la compare avec les autres et en
rejette les éléments qu'il désapprouve."
Le film...
Bertolucci reprend les
deux premières parties du livre en changeant quelques détails, ce qu'il
explique dans la version commentée. En revanche, la troisième partie, qui
retrace la solitude de Kit, sa "folie", est moins brutale
dans le film, comme c'est souvent le cas. Bertolucci précise
que ce dernier acte est proche du rêve ; dans le livre, il s'apparente
davantage à un cauchemar, mais je préfère ne rien dévoiler de plus.
J'avais vu ce film et
j'ai pris un grand plaisir à le voir à nouveau, après avoir lu le livre, car je
cernais mieux les personnages. Les décors naturels et les lumières sont
splendides. La réalisation et les plans du désert sont particulièrement
soignés. Debra Winger et John Malkovich sont excellents.
Bertolucci rend bien
l'esprit du roman de Bowles, et l'auteur lui-même, en client d'un café,
présente ses personnages.
Ce roman m'a captivée
et j'ai aimé l'interprétation de Bertolucci, qui réduit
l'aspect littéraire, l'introspection des personnages, mais le
symbolise par une esthétique envoûtante.
Merci beaucoup à Flo
pour cette découverte !
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