(Publié le 19
Février 2008)
Raymond Queneau, Loin de Rueil, Gallimard 1944, (folio, 211p.)
Jacques Laumône est un rêveur ; il invente, il
imagine. Enfant, quand il va au cinéma, il se voit coboy, se battant contre des horlalouas
dans la farouest. Il veut devenir roi
ou pape ; il s'invente une généalogie, des histoires de passions
et de guerre qui le conduisent à devenir empereur, fondateur de la
dynastie de Laumoningiens, puis souverain de l'univers ! "Il est
stupéfiant de penser qu'on n'est pas né prince duc ou comte et
pourtant et pourtant pourquoi pas soi pourquoi pas soi", pense Jacques. Plus
tard, il se crée une vie de boxer, de chimiste, de comédien...
Il est toujours un peu difficile de présenter un
roman de Queneau, tant son univers est singulier. Celui-ci est le roman de la
"rêverie éveillée". Jacques ne cesse de passer de la réalité à
l'imaginaire. "Parfois Jacques suit
un personnage dans la rue moins pour découvrir cet autre que pour s'en vêtir
quelques minutes." Mais cette habitude du rêve, traduit avec tout
l'humour de l'auteur, révèle bien autre chose, des sujets que Raymond Queneau
aborde dans plusieurs de ses romans avec des personnages qui s'interrogent sur
leur identité et leur existence. Jacques, déçu par l'amour, par ses revers de
fortune, se demande s'il est capable de devenir "un rien du
tout". Il ne rêve plus. "Jacques
déblaie, déblaie, il faut faire fiça car par tant de degrés à l'ombre même le
souvenir des morts pourrit vite et ne tarde pas à fleurer la charogne, même si
ce sont des morts que pour soi, des morts à l'usage personnel sans chair ni
parole, des sous-fantômes assommés par les nécessités de la vie et les
conséquences des rêves". Queneau aborde ce thème du rêve, opposé à une
réalité contraignante dans l'esprit d'un homme ambitieux qui aime la facilité,
qui ne se résigne pas à vivre une seule vie. "Il avait horreur de la spécialisation et des longues carrières qui
marquent et vous font des plis". Et Queneau trace progressivement le
lien vers le théâtre et le cinéma.
L'autre grand thème n'est autre que l'amour... "C'est toujours comme ça. C'est toujours la
même cause, toujours la même raison. une histoire triste. une histoire de
femme. Une histoire triste de femme. Ah les femmes, monsieur!" Queneau dresse une galerie de personnages insolites aux histoires souvent dramatiques, mais
toujours présentées avec humour ou ironie. J'ai beaucoup aimé
Louis-Philippe des Cigales, victime d'ontalgie ( "une maladie
existentielle, ça ressemble à l'asthme mais c'est plus distingué"), le
plus grand homme de Rueil, mais poète méconnu dans les autres communes.
Enfin, je retrouve toujours avec
plaisir tout le style de Queneau, les mots valises, les rimes, ces thèmes
ou scènes, qui rythment le roman en revenant régulièrement tout au
long du récit ; ici, le cinéma et les poux ! (Jacques songe même
a créer une espèce de poux géants...)
On retrouve également ces inversions de sujets, ces
chagement de ton, ces jeux sur les sonorités ou sur les constructions des
phrases, mêlant une syntaxe archaïque au langage parlé (tout est toujours
très étudié et subtil avec Queneau). "Jacques encaissa la monnaie, laissa pourboire de rupin et sans parler
sortit". À propos d'une course de chevaux, "et puis Peau-de-pou, dit le Tonton, on n'a pas idée de risquer ses sous
sur un chevable qu'on accable d'un vocable semblable". "A quinze ans, il imposait son génie par un
concerto bifide à rebrousse-poil pour cythare tubulaire et chalumeau
birman (op. 37)"
Voilà quelques exemples qui vous donneront
peut-être envie de (re)découvrir Raymond Queneau dont on lit souvent seulement Exercice
de style et Zazie dans le métro. Sur le thème de la rêverie, Loin de Rueil se
rapproche davantage des Fleurs bleues. Si vous craignez d'être un peu perdus
dans cet univers, il existe des éditions avec des dossiers et des lexiques pour
les termes d'argot et les références de Queneau.
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