lundi 30 juin 2014

Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin

(Publié le 15 Juillet 2009)
Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin, 1ère édition 1835, Folio, 440p.
Madeleine de Maupin, travestie en homme par curiosité, séduit D'Albert, jeune romantique, et sa maîtresse Rosette.
Je ne détaillerai pas l'importance de ce roman, et plus particulièrement de sa préface, dans l'histoire littéraire... un trop vaste sujet !
Sur la forme...  c'est Théophile Gautier ! Ce roman se lit comme de la poésie ; on le savoure, on prend le temps de se délecter de la beauté du style, des descriptions, des images. A moins de ne jurer que par les styles épurés, il est difficile de rester insensible au talent de Gautier pour décrire un lieu ou une ambiance, restituer une émotion. Or, les sentiments sont l'essence même de ce roman, à la construction originale, puisque des scènes dialoguées sont intégrées à la forme épistolaire. Les points de vue croisés des trois personnages révèlent au lecteur le jeu des apparences et des non-dits.

Dans la première partie, Gautier livre les lettres de D'albert.
On découvre un jeune homme oisif, épris d'amour idéal et influencé par la représentation de la beauté dans l'art. Personnage égocentrique (et même exaspérant d'un point de vue féminin !), il découvre les jeux de séduction et a conscience de ses excès: 
"Je m'écoute trop vivre et penser (...) le bruit de l'action ferait envoler cet essaim de pensées oisives qui voltigent dans ma tête et m'étourdissent du bourdonnement de leurs ailes; au lieu de poursuivre des fantômes, je me colletterais avec des réalités; je ne demanderais aux femmes que ce qu'elles peuvent donner: - du plaisir - et je ne chercherais pas à embrasser je ne sais quelle fantastique idéalité parée de nuageuses perfections". Et Rosette lui en fait le reproche: "Vous vous êtes trompé vous-même. Vous avez pris un goût pour de l'amour, et du désir pour de la passion, la chose arrive tous les jours." (N'est-ce pas... ?) Quand D'Albert rencontre Madeleine/Théodore, sa vision de l'amour est bouleversée, car il trouve la perfection en "lui" qu'il devine "Elle".
Madeleine, enfermée dans les convenances de son époque, désire connaître la réalité qui lui est cachée. Sur les hommes, elle écrit : "Leur existence réelle nous est aussi parfaitement inconnue que s'ils étaient des habitants de Saturne ou de quelques planètes à cent millions de lieues de notre boule sublunaire: on dirait qu'ils sont d'une autre espèce, et il n'y a pas le moindre lien intellectuel entre les deux sexes ; les vertus de l'un font les vices de l'autre, et ce qui nous fait admirer l'homme nous fait honnir la femme."
Les réflexions sur l'éducation des femmes m'ont beaucoup intéressée. Madeleine est intelligente, curieuse, spirituelle. Elle a également une vision idéale de l'amour, fusionnelle, dirions-nous aujourd'hui. Pourtant, à la fois fascinée et déçue par son expérience, elle reste profondément troublée: "En vérité, ni l'un ni l'autre de ces deux sexes n'est le mien; je n'ai ni la soumission imbécile, ni la timidité, ni la petitesse des femmes; je n'ai pas les vices des hommes, leur dégoûtante crapule et leurs penchants brutaux : je suis d'un troisième sexe à part qui n'a pas encore de nom; au-dessus ou au-dessous, plus défectueux ou supérieur; j'ai le corps et l'âme d'une femme, l'esprit et la force d'un homme, et j'ai trop ou pas assez de l'un et de l'autre pour me pouvoir accoupler avec l'un d'eux."

Madeleine séduite par D'Albert et Rosette, rompt le trio amoureux, et Gautier laisse l'évolution de ses personnages en suspens.
Lyrique, romantique, l'histoire même de ce trio amoureux est toute symbolique.

Pourtant, j'ai été surprise en réalisant que le propos de Gautier restait pertinent aujourd'hui. Les réflexions sur le désir, l'amour, les codes et l'identité ne sont pas si désuètes ;  la quête d'idéal est largement entretenue par toutes les formes d'art et nous influence toujours.

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