mercredi 22 octobre 2014

Francisco Coloane, Le passant du bout du monde


Présentation de l'éditeur, éditions Phébus, 2000
A quatre-vingt-dix ans bientôt, le vieux loup du Grand Sud nous sort un dernier tour de son sac : l’histoire de sa vie, rien de moins. Qu’on ne s’attende pourtant pas à lire une autobiographie au sens classique du mot. Coloane, depuis son enfance dans l’île de Chiloé, fouetté par les vents du large, jusqu’aux années de la notoriété dans le sillage de son ’frère’ Pablo Neruda, navigue à vue – et compose son livre à l’inspiration : un livre aussi indiscipliné que sa tignasse. Bref un récit à la Coloane, un de plus, et de grande allure. L’écrivain s’en explique : il a toujours voulu que ses livres taillent leur route aventureuse au plus près de la vie. ’J’ai veillé, dans ces dernières pages, à ce que l’écriture triche le moins possible. Au moins mes lecteurs ne seront pas dépaysés. Je leur vends cette fois encore le même alcool, tiré du même alambic, un alcool aussi peu frelaté que possible – simplement, cette dernière cuvée aura mariné un peu plus longtemps que les autres dans le tonneau’.

Le récit de Coloane est aussi riche et passionnant que celui de Conrad. Ces deux auteurs aiment osciller entre imaginaire et réalité, impressions, souci du détail,  et regard poétique. Ils font le choix de la fiction, mais si Conrad souhaite échapper à son milieu d’origine, Coloane reste attaché au sien. 
"Les marins, et parmi eux Joseph Conrad, ne disent-ils pas qu’ils appartiennent à ce grand pays sans frontière qu’est la mer ? Aujourd’hui, je n’en suis plus aussi sûr."
On comprend l'écrivain chilien en découvrant son histoire.
Coloane tente de se plier au jeu de l’autobiographie, mais il parle plus de son entourage, de son pays, de ses voyages, que de lui-même. Conteur, lorsqu’il complète ses fictions par le contexte qui les a inspirées, il reprend son ton de journaliste, quand il parle de son époque. Observateur, curieux de tout (il a exercé bien d’autres métiers), il sait regarder et écouter, les hommes, les animaux et la nature. Il délaisse même "la fantaisie et l’imagination" pour décrire Chiloe et Quemchi, où il a grandi, et tente d’inscrire l’histoire de sa famille dans celle du Chili.
Ce fils d’un capitaine de baleinier est marqué par les paysages de son enfance. D’ailleurs, il est presque né sur l’eau : "Dans la maison, une passerelle en bois reliait la cuisine à la chambre, si bien que je n’ai guère tardé à passer de la rumeur des eaux maternelles à celle des eaux de la mer."
Ami de Neruda, il évoque ici son engagement politique. Il n’en a pas fait le sujet de ses fictions (ce qui aurait été une "trahison de l’esprit" selon lui), mais ce récit permet de mieux comprendre des thèmes récurrents dans ses livres, par exemple, les violences envers les indiens ou les inégalités sociales : "il pleut beaucoup chez nous ; le ciel chilote doit laver tant de fautes que plus d’une fois j’ai senti ses reproches sur mes yeux."

Le passant du bout du monde est le récit d’un écrivain, né sur une terre cosmopolite au passé trouble, où les légendes indiennes se sont mêlées aux cultures européennes. "Il ne fait aucun doute que le monde que j’ai connu a fait de moi ce que je suis : un travailleur de la plume ou de la machine à écrire qui a transcrit sur le papier le récit, très proche de la vérité, d’expériences vécues".
Mais c’est aussi le récit d’un homme, témoin du développement économique et de toutes les guerres et crises du XXème siècle. "Il y a toujours quelqu’un devant et derrière nous dans l’espace et le temps. Ce sont les portes par lesquelles nous entrons et sortons. C’est peut-être cela la solitude de l’homme : ces portes de l’amour, de la famille, de la région du morne Lobos, et de quelque chose qu’il faut chercher bien au-delà des phares."
C’est sans doute aussi ce qui l’a conduit à beaucoup voyager. "Rien n’est plus fort que cette sensation d’être au centre de la terre ou de la mer et d’avancer vers un horizon qui ne cesse de reculer"Dans ce livre, il consacre un chapitre à une expédition en Antarctique. Il raconte aussi certains de ces voyages, notamment en Espagne et en France, à Saint-Malo, au festival « Étonnants voyageurs ». Mais le ton n'est pas celui d'un récit de voyage qui pourrait rebuter les lecteurs d'aujourd'hui. Il s'agit plus d'impressions et d'anecdotes dans un style léger qui cède toujours à la poésie.

Ces deux aspects, intéressants et indissociables, font de ce récit un magnifique voyage dans le temps, l'espace, et l'imaginaire d'un conteur, mais pour une première découverte, il est sans doute préférable de commencer par Cap Horn, Tierra del Fuego ou Le dernier mousse.

Un dernier mot sur Naufrages, éditions Phébus, 2002 et Point Seuil, 2010
Il s’agit d’une réédition, annotée par Coloane, du Routier du détroit de Magellan, de Francisco Vidal Gomez, publié en 1901. C’est l’un des livres (avec le Voyage d’un naturaliste autour du monde de Darwin) qui a le plus marqué l’auteur dans son enfance.
Il est donc intéressant de le lire à la suite du Passant. Si on s’intéresse à l’histoire maritime, bien sûr. J’ai beaucoup aimé suivre plus de quatre siècles d’histoire de la Terre de feu par le prisme des naufrages. Et j’ai appris plein de choses ! A lire avec des cartes et un dictionnaire historique.
Je ne développe pas, car c’est un peu particulier. Si vous ne savez pas distinguer babord et tribord, ce livre n’est peut-être pas pour vous, sinon, "reprenons la mer !"

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